À l’UNESCO, les locuteurs soninké se mobilisent pour préserver une langue millénaire à l’ère numérique
Rédigé le 28/09/2025
Mamadou SOW
Par @PrMamadouSow
PARIS — 26 septembre 2025
Dans les augustes salons du siège de l’UNESCO, où se croisent les gardiens des patrimoines mondiaux, s’est déroulée vendredi 26 septembre 2025, marquant la deuxième édition de la Journée internationale de la langue soninké. Officiellement observée le 25 septembre mais reportée au lendemain pour la communauté soninké de France, l’événement a réuni diplomates, linguistes, entrepreneurs et leaders communautaires d’Afrique de l’Ouest et de sa diaspora. Au milieu de discours émaillés d’« excellences » et d’appels à la « solidarité », cette rencontre a lancé un plaidoyer urgent : exploiter les technologies numériques pour sauvegarder une langue parlée par plus de 1,5 million de personnes, pourtant vulnérable face à la mondialisation.
Diffusée principalement par « La Chaîne Soninké » sur YouTube le principal vecteur de l’événement, avec des flux en direct et des archives atteignant des publics de Bamako à New York, la cérémonie a mis en lumière les racines profondes du soninké dans l’ancien empire du Ghana, ou Wagadou, une puissance transsaharienne dès le VIIIe siècle. Comme l’a rappelé un intervenant, citant un proverbe malien, « C’est d’une toute petite graine que sort le plus grand arbre » d’une modeste semence naît l’arbre le plus imposant, cette langue incarne bien plus qu’un moyen de communication : elle porte une tradition vivante de poésie, de récits oraux et de valeurs communautaires comme la « patience et le labeur ».
Proclamée par l’UNESCO en octobre 2023 via la résolution 217 EX/39, cette journée fait du soninké la deuxième langue africaine après le swahili à bénéficier d’une reconnaissance internationale dédiée. Langue transfrontalière parlée au Mali, au Sénégal, en Mauritanie, en Gambie et en Guinée, elle symbolise une « mémoire vivante » et un lien entre les peuples, selon Samba Yeri Diallo, président du comité d’organisation et porte-parole des chefs de village soninké. Le thème de cette édition, « L’impact des technologies numériques sur la préservation et la promotion de la langue soninké », a imprégné l’ensemble des débats, soulignant comment les applications, archives en ligne et l’intelligence artificielle peuvent insuffler une nouvelle vitalité à cette langue menacée.
La journée a débuté par quelques notes de musique traditionnelle (GAMBÉRÉ). L’ambassadrice déléguée permanente de la Mauritanie auprès de l’UNESCO, S. Exc. Madame Moulaty El Mokhtar Lemhaimid, Ambassadrice Déléguéé permanente de la Mauritanie auprès de l'UNESCO, Représentante des pays co-auteurs du DR/217 EX/39 (6mn), s’exprimant au nom des cosignataires de la résolution dont le Mali, le Sénégal, la Gambie et d’autres, a donné le ton émouvant. Elle a rendu hommage à l’Association pour la Promotion de la Langue et de la Culture Soninké (APS), saluant le « travail visionnaire » de son président, le Dr Ousmane Bokar Diagana. D’une voix émue, elle a honoré la mémoire de Diadié Soumaré ancien président de l'APS, dont l’œuvre a illuminé les études soninké, laissant « un savoir précis » aux générations futures.
Citée du président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani lors d’un festival à Nouakchott en 2023, elle a affirmé : « En promouvant nos langues, nous ne divisons pas, nous unissons. » Elle a mis en avant les initiatives nationales, comme l’Institut pour la Promotion de l’Enseignement des Langues Nationales (IPLAN), qui intègre le soninké, le pulaar et le wolof dans l’éducation. Le programme phare « Soninké Numérique », lancé à Nouakchott en 2024, a formé plus de 500 enseignants et développé des applications éducatives, en partenariat avec l’UNESCO sur des projets de technologies linguistiques.
Le représentant de l’UNESCO, le directeur Eliot Minchéng Monga du Secteur Priorité Afrique et Relations Extérieures, remplaçant la directrice générale Audrey Azoulay, a fait écho à cet optimisme promettant d’apprendre le soninké d’ici l’an prochain, il a salué la langue comme un « pont et lien » à travers l’Afrique de l’Ouest, du fleuve Sénégal aux diasporas de Paris et New York. Citant le guide UNESCO 2025 sur l’éducation multilingue, il a insisté sur ses bénéfices pour la mobilité sociale et les performances académiques. « La technologie, loin d’effacer les identités, peut les amplifier », a-t-il déclaré, louant la littérature soninké en ligne et les outils d’auto-apprentissage comme des pas vers un cyberespace diversifié.
Représentant le Groupe Afrique à l’UNESCO, l’ambassadeur rwandais James Musoni a exhorté la jeunesse à adopter le soninké dans ses « projets créatifs » et productions artistiques, le qualifiant de « clé pour s’affirmer » dans un monde multiculturel. Il a salué les initiatives en cours, présentant la préservation comme un devoir collectif : « Préserver le soninké, c’est préserver un héritage vivant. »
Le Dr Diagana, président de l’APS, a prononcé son allocution principalement en soninké un choix délibéré pour cette journée dédiée, suivie de traductions. Il a remercié une pléiade de dignitaires, des ministres aux représentants de la diaspora, et esquissé les avancées de l’APS en recherche, festivals et collaborations internationales. Les applaudissements ont fusé lorsqu’il a évoqué le rôle des outils numériques pour renforcer les études linguistiques et les événements culturels.
Un intermède poignant a suivi : une vidéo-teaser rappelant l’édition inaugurale de 2024, avec des hommages à des figures disparues comme Amadou Mahtar M’Bow, ancien directeur général de l’UNESCO, et des leaders communautaires tels que Cheikh Dramé. Une minute de silence les a honorés, évoquant une « mémoire collective ».
La marraine de l’événement, l’entrepreneure Assétou Dramé Diagouraga, a parlé brièvement en soninké : immigrante analphabète devenue magnat des affaires avec des implantations au Mali, en France et bientôt à New York, elle incarne la résilience, remerciant l’APS pour l’honneur et encourageant l’ambition sans limites d’origine.
Les parrains Surakhata TIRERA et Monsieur Cessé KOMÉ (ce dernier représenté par un émissaire) ont renforcé les thèmes de la « valeur du travail » et de l’unité. Tirera, évoquant l’héritage de Wagadou, a lancé un appel à l’aide contre les inondations récurrentes dans les villages soninké, adaptant un proverbe chinois : « Une communauté n’a pas besoin d’être parfaite ; elle a juste besoin d’être unie. » Le message de Komé a célébré le labeur comme « un devoir sacré », citant ses Industries comme modèle de dynamisme économique.
Le poète Bakary Toulou Fofana a égayé l’assemblée avec une ode bilingue, « Soninké », évoquant la « patience et le labeur » de l’antique Kumbi Saleh aux festivals modernes.
Clôturant la cérémonie, le ministre gambien des Pêches et des Ressources Halieutiques, Musa Drammeh, représentant le président Adama Barrow, a transmis les regrets de ce dernier pour son absence due à des engagements nationaux, mais a réaffirmé un soutien indéfectible. Il a loué la solidarité transfrontalière des nations soninké, de la Gambie au Niger, et félicité l’APS pour avoir porté la résolution depuis novembre 2023.
Au-delà de Paris, les célébrations ont rayonné. En Gambie, la communauté soninké a organisé une marche culturelle, des symposiums et des expositions culinaires le 25 septembre à Serrekunda, sous l’égide du comité jeunesse Sumpo Do Khati, présidé par Sheriff Marie Tanbadou. À Kayes au Mali, l’accent a été mis sur l’alphabétisation villageoise, coïncidant avec le Mois national de l’alphabétisation. Et la veille, le 25 septembre, la communauté soninké de Paris a inauguré la place Ganda Fadiga dans le 18e arrondissement, au cœur de la Goutte d’Or, en hommage au griot malien légendaire (né en 1949), musicien et conteur qui unissait les cultures. Soutenue et rendue hommage par des figures comme la députée Sabrina Sebaihi et la chanteuse Oumou Sangaré, cette cérémonie a symbolisé la transmission vivante de l’héritage soninké.
Tandis que l’événement passait à des panels sur le multilinguisme et la préservation numérique incluant le lancement d’un glossaire français-soninké, la projection du documentaire « Young Soninke Pride » et l’ouverture d’une exposition « Omaraka : Le Soninké en Images » —, les participants ont prolongé les échanges en soninké, rappelant qu’à l’ère de l’IA et de la connectivité globale, « nos langues sont des ponts », comme l’a dit un ambassadeur. Pourtant, les défis persistent : l’UNESCO alerte que l’Afrique, berceau d’un tiers des langues mondiales, risque d’en perdre beaucoup sans action. Pour les Soninké, cette journée n’était pas seulement une commémoration, mais un appel à « innover dans nos approches », assurant que leur voix perdure dans le kaléidoscope numérique de l’humanité.